Nous venons au monde dans un cri.
Une affirmation première et primitive de notre existence : ici et maintenant, je suis !
Et c’est du bout de la langue, par les mots, que nous saisissons peu à peu les contours de ce monde dans son altérité.
Les mots sont une seconde peau. Une surface sensible où s’imprime le visible et l’invisible, l’autre, et où nous nous racontons à lui.
Parce que nous sommes des êtres d’histoires, des mammifères du récit.
Nos batailles, nos rêves, nos défaites comme nos victoires, nos colères comme nos amours, toutes vont sur douze pieds, en prose, en rimes, du bout des lèvres, au fil des « il était une fois » cent fois recommencés, dans un murmure, dans un chant, entre deux couvertures de papier, de l’écorce des arbres confidents à l’éclair de peinture qui réveille les murs des villes endormies, de la berceuse à l’épitaphe, nous ne sommes qu’histoires patiemment tressées.
Sans histoires, nous voilà ligotés à l’obscurité, à la solitude, à la servitude, à l’impuissance et à l’oubli.
Les petits maîtres qui se rêvent empereurs l’ont bien compris.
Amputer la langue, la cadenasser, la faire marcher au pas cadencé de la vertu ou de l’argent, la couturer en 280 signes, en slogans, en formulaires, en injonctions martiales télévisées, c’est nous priver de la possibilité de nommer et d’être, à soi et aux autres, au passé et au présent, et c’est nous ôter le pouvoir d’inventer de nouvelles histoires, de faire émerger d’autres récits et de possibles lendemains.
C’est pourquoi, sur les places, dans les rues, dans les livres, il nous faut batailler aujourd’hui pour une langue vivante, vibrante, insolente, joyeuse, offensive, radicale, poétique qui, plus que jamais, nous libère et relie.
Stéphane Servant.